LE NŒUD

Peter Lanken architecte


Dans THE EAR at the Montreal Museum of Fine Arts, j’ai écrit : « En 1989, nous [l’artiste Betty Goodwin et moi-même] avons été invités à faire une proposition pour une autre œuvre d’art, à Québec cette fois, où le Musée des beaux-arts s’était agrandi pour occuper l’ancienne prison de Québec, juste à côté. Arrivés par le train du matin, nous avons eu droit à une visite guidée de l’ensemble du projet. J’étais perturbé : ce projet était une erreur. Ils essayaient de transformer une prison en galerie d’art, mais ils gardaient les cellules, les portes en fer, bref les instruments d’incarcération. Les odeurs habituelles d’un chantier de construction – sciure de bois, tabac, plâtre, peinture et pisse – se mêlaient à l’odeur de colère et de désespoir anciens. Chaque brique exhalait un siècle de soupirs. La discorde était tapie au plus profond de l’âme.

“« J’ai pensé : “Le Mal et l’Art ne peuvent cohabiter dans le même bâtiment“, et j’ai tenté d’expliquer ceci à Betty. Elle a simplement répondu : “Oui”, et elle a continué à regarder au loin, perdue dans ses pensées. »

L’œuvre devait être logée dans une petite tour octogonale surplombant la prison. Elle serait à l’écart des lieux achalandés : elle devait être une destination. Plus encore, elle devait témoigner du malaise que nous avions ressenti tous les deux.

De nouveau, Betty et moi avons passé des heures, des jours entiers à discuter, essayant de comprendre notre inquiétude profonde. C’était son territoire. Là où elle vivait et travaillait, tâchant de résoudre, de représenter la discorde envahissante qui plane au-dessus de nos vies. Elle errait dans son studio, cherchant sans cesse à relier les mots et les objets étalés sur ses grandes tables de travail. Du fond de sa mémoire, elle a tiré une idée ancienne : « Le nœud dans lequel l’âme est liée », et l’a jumelée à une corde nouée qu’elle avait déjà fait couler en bronze.

Ce concept – la phrase et le nœud de bronze – était percutant : il renversait l’anomalie que nous avions vue tous les deux, et l’enveloppait comme il envelopperait le spectateur.

Le cadre devenait maintenant mon problème. La tour où l’œuvre devait être érigée était presque en ruine : nue, sans toit, inachevée. Pendant la période où je faisais mes croquis, j’ai étudié chaque figure architecturale que je connaissais. Il m’est apparu clairement que l’architecture moderne, même les repères les plus officiels du design contemporain, était impuissante dans cette situation. Il nous fallait puiser plus profondément dans nos traditions communes, retourner au design classique et, plus loin encore, au plus sévère et au plus archaïque des ordres : l’ordre toscan. Dépouillé et solennel, cet ordre pourrait prévaloir contre l’atmosphère malveillante du lieu.

 
 

Le visiteur verrait d’abord le nœud d’en dessous en gravissant un étroit escalier en acier qui traversait le plancher de pierre. Une fois dans la petite pièce, subjugué par la puissance des pilastres toscans hauts de deux étages, il verrait le nœud juste au-dessus de lui. Ainsi que la corde, flottant au-dessus du plancher et réfléchie d’en bas dans un miroir d’acier inoxydable. La phrase « Le nœud dans lequel l’âme est liée » devait être écrite au long en lettres d’acier inoxydable, incrustées dans le plancher de calcaire autour du miroir. Au crépuscule, les lumières de la ville s’étalant en contrebas créeraient un effet de relief.

Peter Lanken Mars 2018

Nous avons construit rapidement un modèle et l’avons présenté. Il fut rejeté. Cependant, l’idée, le design possédaient une valeur permanente, et j’ai commencé un dessin de grand format (à l’échelle un douzième) à l’encre, auquel j’ai travaillé par intermittence pendant plusieurs années.

Mars 2018